We were here nous plonge dans l’obscurité d’une forêt, illuminée çà et là par un halo, un cube étincelant, une tige fluorescente, un rai de lumière. Une nature poétique de branches entrelacées, de feuilles encore aux arbres, ou mortes, tapies au sol, un rocher, l’impression d’un chemin. La série, d’une maîtrise technique minutieuse, se livre en plusieurs temps. Son romantisme de prime abord s’avère plus sombre à mesure que l’on pénètre dans la forêt de Vincent Fillon.
Lorsque l’élément lumineux s’impose, brillant, géométrique et précis, nous nous focalisons sur l’impact de l’homme dans la nature. Sur sa capacité à concevoir des éléments pour s’approprier l’environnement, à faire œuvre avec le paysage. L’artefact comme signe de la présence millénaire de l’humain qui a apprivoisé, au meilleur des cas, la nature sauvage ; l’a dénaturée le plus souvent. C’est là la lecture la plus évidente de ces images.
Les compositions où la source lumineuse est évidente mais demeure masquée nous forcent à d’autres interprétations. Une faille de lumière au droit d’un rocher nous ramène à l’aube des temps, dans une préhistoire un peu fantasmée, faite de grottes, de feux, de premiers abris pour l’humanité. Ne pas percevoir ce qui éclaire nous rappelle une fragilité presque disparue, l’homme qui cherche un abri, une caverne aux racines de l’architecture, sélection d’un espace de protection déjà là, fait de roches, d’anfractuosités, de surveillance des accès, l’oreille à l’affut. Nous savons pourtant que cet éclairage invisible n’a rien de tremblotant, de vacillant. Sa netteté, sa blancheur, sa froideur, nous parlent de contemporanéité, d’électricité. Plus qu’une préhistoire, ce serait une anticipation. Celle de la fin des hommes ? Quelques survivants à on ne sait quelle catastrophe auraient-ils cherché un refuge ?
Les photographies les plus mystérieuses, où l’entrelacement des arbres est animé d’une étrange lumière sont les plus fortes. À suivre la lente architecture des branchages, pendant nocturne des arbres de Gérard Tranquandi, notre mémoire se rappelle les contes de Perrault, de Grimm. La forêt s’impose, l’arbre se fait chef-d’œuvre d’architecture, sol et ciel se répondent. Nos projections se font enfantines, un imaginaire peuplé de personnages inquiétants, fantastiques, Petit Poucet, miettes de pains égrainées, Hansel et Gretel, maison en biscuit, Petit Chaperon Rouge et petit pot de beurre. Les bois reviennent à leur nature première, un environnement puissant, enchanteur, dans lequel l’homme se fait petit, s’aventure tout en restant discret. Mais aussi berceau, source d’alimentation, refuge, écosystème dans lequel faune et flore s’harmonisent. Et où l’homme aurait su retrouver une juste place.
— Fanny Léglise, 10 juin 2015 —